Août 2011 - Serge Doubrovsky: "Le livre brisé"

Publié le par lescommunautes

Ce qui est sidérant dans la sartrologie, ou dans la bibliothèque sartrienne, car il s’agit plus souvent de témoignages écorchés vifs, pardon pour la redondance, que d’analyses littéraires et philosophiques, c’est la récurrence du thème filial, alors que même que Sartre était l’auteur, entre autres gracieusetés, de cette phrase ferme et définitive : « Il n’y pas de bon père, c’est la règle. Il ne faut pas en vouloir aux hommes, mais au lien en vouloir aux hommes, mais au lien de paternité qui est pourri. » 

Il n’empêche : nombre de ses lecteurs ont fait de lui leur père idéal, achevant leur parcours, comme de bien entendu, par le parricide réglementaire, ou supposé tel. Ainsi Olivier Todd aura-t-il intitulé, significativement, sa lettre de doléances posthume « Un fils rebelle » (1981). Bêtisier maladroit et inefficient, « Le testament de Sartre » (1982) de Michel- Antoine Burnier appartient au même registre du règlement de comptes fantasmatique, voire de l’autocritique d’autrui.  

A tout le moins, Serge Doubrovsky n’appartient-il pas à la lignée des fils ingrats. Moins intime - cela aide peut-être à garder ses distances -, il place sa relation avec son « père spirituel » Sartre en filigrane de son « Livre brisé »  (1989), autobiographie cabossée puis fracassée, puisqu’elle s’éventre par le milieu avec la mort soudaine de sa jeune femme Ilse. Devant un tel drame, peut-être les maigres querelles dont s’enorgueillissent avec morosité ses congénères « émancipés » - hélas, si seulement c’était vrai - s’estompent- elles comme naturellement.     

Prof de fac aux USA, Doubrovsky est un sartrien qui aime Corneille et Proust, bref, un littéraire. Il a éreinté la « Critique de la raison dialectique », et n’a jamais pris Sartre pour un gourou en politique ; très bien : à l’heure des bilans, cela lui évitera de tout lui coller sur le dos. Il place « La nausée » plus haut que tout, et « Les mots » plus haut que « La nausée ». Livres lus, relus, enseignés, appris par cœur. Deux rencontres avec son héros achèvent d’incarner cette relation intermittente, passionnelle et asymétrique.    

belles qualités d’écrivain exact et précis, oubliées sous de rances pavés d’idéologie indigeste. Le pire n’est pas toujours sûr. Avant 68, un Sartre au sommet de sa forme l’éblouit ; peu avant sa mort, une seconde rencontre lui sera le cœur : diminué, affaibli, il s’endort à moitié tandis que Doubrovsky décrypte à haute voix « La nausée ». Lecture achevée, le vieillard aveugle sort de sa torpeur, et le moulinet dialectique cliquette et étincelle comme aux beaux plus jours - Pardaillan pas mort : il a tout entendu, tout pigé, et tout décodé. Un bel hommage, honorable, tenu, vibrant, et secrètement distancié.

 

 

 

Serge Doubrovsky, « Le livre brisé », Grasset, 1989. 

Lecture-loisir.

DISPONIBLE

Document réalisé par L. LE TOUZO, le 9 août 2011

Publié dans Sartre

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