Août 2011 - Simone de Beauvoir: "Cahiers de jeunesse"

Publié le par lescommunautes

Rien de tel que la lecture - sidérée - de ces « Cahiers de jeunesse »  pour tirer son chapeau à Simone de Beauvoir, pour saluer sa trajectoire. Quand on pense qu’il n’y a que vingt ans entre l’idéalisme exalté, romantique, et, pour le dire crûment, assez cruche, de cet jeune fille ô combien rangée (à coté d’elle, Arielle Dombasle mais c’est Virginie Despentes !) et « Le deuxième sexe » (1949), il y a de quoi être bluffé, soufflé par l’ampleur et l’amplitude de la courbe ascensionnelle. A l’échelle d’une vie humaine, pas même, deux décennies seulement - elle a parcouru le chemin qui mène de la servante du seigneur à la femme moderne et émancipée. C’est tout simplement stupéfiant.

En effet, ce qui appert prioritairement de ce très épais volume, c’est la pesanteur terne et étouffante du milieu dont elle provient : conformiste, contraint, confiné, catholique dans la pire acception du terme : hypocrite et obséquieux. Une seule chance dans ce paysage désolant (vécue, comme de juste, comme une malédiction sociale) : l’absence de dot. Faudra bosser, ma grande. Quelle trouille rétrospective ; un père moins malhabile en affaires, et pas plus de Castor que de beurre en branches. Une chose ne fait pas guère de doutes : n’importe quelle jeune fille de 18 ans d’aujourd’hui est plus dégourdie - et pas seulement délurée - que cette nunuche narcissique.

Et pourtant, sous ce nombrilisme surhumain, pointent déjà les qualités qui la sauveront de ce « destin fangeux » : une curiosité, un appétit et une endurance elles, très humaines, mais poussées à une incandescence rarement vues. Ces quatre ans, outre la découverte d’une vocation, la philosophie en surimpression de son désir d’écrire - ici, bien mal récompensé, là encore elle fera ses classes à marche forcée, à la fois lentement, premier livre à 35 ans, et vite, impossible de deviner quel beau papillon s’évadera de cette morne chrysalide - décrivent essentiellement le balancement puis le switch de trois amours : Jacques son cousin - un faible ; René Maheu, normalien, ambitieux (il finira directeur de l’UNESCO), très beau, ultra macho, déjà marié, assez conformiste finalement. Le troisième, je le dis pas, si ? 

On a lu des centaines de pages, et pas de la meilleure eau encrée, sur la théorie des amours contingentes et des amours nécessaires. Mais ce que ce livre, avec les valses-hésitations et allers-retours du Castor, ouvre de proprement vertigineux, c’est que le plus nécessaire des amours était lui- même en son commencement contingent. Cela laisse deviner un monde compossible où Sartre et Beauvoir eussent écrit, bien sûr, tant ils étaient construits pour ça, mais chacun de son côté. Autant imaginer un univers sans Manchester United.

 

 

Simone DE BEAUVOIR, « Cahiers de jeunesse », Gallimard, 2008.

Lecture-savoir.

Document réalisé par L. LE TOUZO, le 9 août 2011

Publié dans Sartre

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